À savoir
-
L’abus d’alcool tue chaque année 3 millions de personnes dans le monde, soit une personne toutes les 10 secondes.
-
Plus de la moitié de l’ensemble des décès liés à l’alcool (1,7 million) sont attribuables à une maladie non transmissible (MNT).
-
L’alcool est l’un des principaux facteurs de risque de nombreuses maladies non transmissibles telles que le cancer, les maladies digestives, les maladies cardiovasculaires (MCV) et les troubles de la santé mentale.
-
Le risque de mortalité due à la consommation d’alcool est nettement plus élevé dans les pays à revenu faible et intermédiaire et chez les jeunes.
-
Bien que le pourcentage de buveurs dans le monde ait diminué depuis 2000, la consommation totale par habitant parmi les buveurs actuels a augmenté dans la plupart des régions, à l’exception de l’Europe.
-
L’industrie de l’alcool cherche à ouvrir de nouveaux marchés dans les pays à revenu faible et intermédiaire tout en contournant la réglementation à travers de nouveaux modes de commercialisation et l’ingérence dans les politiques.
-
Ces dernières années, on a constaté ces dernières années un changement de paradigme autour de la consommation d’alcool. Malgré la vieille croyance selon laquelle il est possible de « boire de manière responsable », il est désormais largement admis qu’aucune quantité d’alcool n’est sûre.
-
Malgré le succès modeste de la Stratégie mondiale visant à réduire l’usage nocif de l’alcool (2010), la lutte anti-alcool trouve un second souffle grâce aux efforts renouvelés des institutions et de la société civile.
La charge inégale de la consommation d’alcool
La consommation d’alcool est l’un des principaux facteurs de risque de décès et d’incapacité dans le monde. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la consommation d’alcool tue 3 millions de personnes chaque année dans le monde [1]. Cela représente une personne toutes les 10 secondes. Du cancer à la dépression, l’alcool contribue à une longue liste de maladies non transmissibles et à d’autres problèmes de santé, y compris les blessures consécutives à des accidents de la route, l’automutilation et la violence contre autrui.
La charge de la consommation d’alcool est inégalement répartie et tous les pays n’en subissent pas les conséquences dans la même mesure. Alors que la consommation est nettement plus importante dans les pays à revenu élevé, les pays à revenu faible et intermédiaire enregistrent proportionnellement davantage de décès [2]. Cela est particulièrement inquiétant étant donné que la consommation d’alcool dans ces pays augmente rapidement, en particulier en Europe de l’Est, en Asie, en Afrique et en Amérique latine, ce qui peut ralentir le développement social et économique [3].
Le risque de mortalité attribuable à la consommation d’alcool est également plus élevé chez les jeunes. En 2016, les personnes âgées de 20 à 24 ans buvaient plus fréquemment que le reste de la population en moyenne, tandis que la consommation épisodique excessive (ou HED de l'anglais heavy episodic drinking) est plus élevée chez les 15-19 ans que chez tous les buveurs de plus de 24 ans [4]. Ce qui rend ces chiffres d’autant plus préoccupants, c’est le fait que les consommateurs adolescents sont plus susceptibles de développer une dépendance à l’alcool que ceux qui commencent à boire de l’alcool plus tard dans la vie [5].
Alcool et MNT
La consommation d’alcool est l’un des principaux facteurs de risque de maladies non transmissibles (MNT). Plus de la moitié de l’ensemble des décès liés à l’alcool (1,7 million) sont attribuables à une maladie non transmissible (MNT). Malgré son acceptation sociale relativement répandue, l’alcool est une substance toxique, psychoactive, cancérigène et addictive, capable de provoquer des dégâts importants sur la santé.
Rapport de situation mondial sur l’alcool et la santé, 2018
Parmi toutes les MNT, la consommation d’alcool présente un lien de causalité avec sept types de cancer, les cancers colorectaux, du foie et de l’œsophage étant les plus représentés ; ainsi qu’avec les maladies digestives, notamment la cirrhose du foie et la pancréatite ; les maladies cardiovasculaires (MCV) telles que les accidents vasculaires cérébraux ; et des troubles neurologiques tels que la dépression.
Si le taux de mortalité attribuable à l’alcool atteint un pic entre 25 et 40 ans, c’est essentiellement parce que la survenue de blessures est concentrée dans cette tranche d’âge. À partir de l’âge de 40 ans, les blessures deviennent moins fréquentes tandis que les maladies non transmissibles occupent une place centrale en tant que principal problème de santé entraînant la mort [6]. Cela résulte des effets cumulatifs de l’alcool sur la santé.
État des lieux : progrès en dents de scie dans la lutte anti-alcool
La Stratégie mondiale de l’OMS visant à réduire l’usage nocif de l’alcool a été adoptée en 2010. Vouée à avoir un impact à tous les niveaux, la stratégie identifiait dix domaines d’action pour les politiques et interventions. Trois de ces interventions ont été identifiées comme « très rentables » (connues sous le nom de « Meilleurs choix »). Il s’agissait des interventions suivantes :
-
Réguler l’offre commerciale d’alcool et son accessibilité.
-
Limiter ou interdire la publicité et les promotions sur l’alcool.
-
Appliquer des politiques de prix telles que les augmentations des droits d’accise sur les boissons alcoolisées.
Depuis la mise en place de la Stratégie mondiale, la mortalité attribuable à l’alcool pour 100 000 personnes est passée de 44,6 en 2010 à 38,8 en 2016, bien que le nombre total de décès liés à la consommation d’alcool soit resté constant. Cette diminution relative est cohérente avec la baisse du pourcentage de buveurs actuels dans le monde, qui est passé de 47,6% en 2000 à 43% en 2016. Elle coïncide également avec d’autres tendances mondiales encourageantes, telles que la baisse de la prévalence de la consommation épisodique excessive chez les jeunes.
La baisse du pourcentage de buveurs, n’est cependant pas égale à travers le monde : l’Europe et les Amériques sont en tête de ce changement de prévalence mais d’autres régions sont à la traîne. Dans la Région du Pacifique occidental en particulier, les taux de consommation d’alcool ont grimpé en flèche en raison de la chute impressionnante du taux d’abstinence en Chine.
Il est alarmant de constater que la consommation par habitant a augmenté depuis 2000 dans la plupart des régions du monde, à l’exception de la région européenne. L’explication de ce phénomène est que les buveurs existants ont intensifié leur consommation. Il est également prouvé que la consommation d’alcool parmi les mineurs augmente en fréquence, et de façon plus marquée chez les filles que chez les garçons [7].
L’industrie de l’alcool et la lutte anti-alcool
L’industrie de l’alcool suit les traces de l’industrie du tabac pour augmenter ses parts de marché tout en contournant la réglementation. Toutefois, l’alcool a encore un long chemin à parcourir pour rattraper le tabac en termes de réglementation. Cela est particulièrement vrai pour les pays à revenu faible et intermédiaire.
L’ingérence des producteurs d’alcool
Les industriels de l’alcool (Big Alcohol) ont une longue histoire d’ingérence dans l’élaboration des politiques mondiales en matière d’alcool. Ainsi, à la fin des années 1990, plusieurs producteurs d’alcool ont réussi à contourner les efforts des gouvernements d’Afrique subsaharienne, et à élaborer des politiques nationales sur l’alcool qui protégeaient leurs intérêts [8]. Dans de tels cas, les entreprises sont capables de se présenter comme des partenaires légitimes dans le processus d’élaboration des politiques, au point de supplanter le gouvernement. Plus récemment, on a constaté que l’industrie de l’alcool présentait des observations trompeuses lors de la consultation sur le nouveau Plan d’action mondial de l’OMS contre l’alcool dans le but de discréditer la réglementation de l’alcool [9].
Cette industrie saisit toutes les occasions de diffuser de fausses informations et de semer le doute sur les effets nocifs de la consommation d’alcool, ainsi que sur l’efficacité des mesures de santé publique. La pandémie de COVID-19 en a été l’un des tous derniers exemples en date. Les grands producteurs d’alcool ont profité de cette crise pour obtenir des réductions d’impôt dans le cadre des mesures de relance post-pandémie [10].
Le marketing autour de l’alcool
Le marketing joue un rôle central dans le fonctionnement de l’industrie de l’alcool. Rien qu’en 2010, six sociétés ont dépensé 2 milliards de dollars en publicité [11]. Cela est particulièrement vrai pour les marchés inexploités dans des environnements moins réglementés, où les entreprises concentrent leurs efforts sur la fidélisation des nouveaux clients. Pour ce faire, elles ciblent les groupes de population qui consomment moins d’alcool, tels que les femmes, les enfants et les adolescents. Des preuves récentes de ces pratiques ont été trouvées en Amérique latine et dans les Caraïbes [12], ainsi qu’en Afrique [13], où le taux d’abstinence est généralement plus élevé.
Rapport de situation mondial sur l’alcool et la santé, 2018
Les grands producteurs d’alcool s’éloignent des médias traditionnels au profit d’autres canaux afin de contourner la réglementation. La publicité en ligne et la responsabilité sociale des entreprises (RSE) font partie des exemples les plus frappants. Les réseaux sociaux par exemple, permettent aux entreprises d’attirer les jeunes, tandis que la RSE contribue à blanchir leur image publique et à leur faire gagner en crédibilité institutionnelle. Qu’il s’agisse de faire don de gels hydroalcooliques pour les mains (au Mexique) ou de mettre en place une plateforme en ligne gratuite pour la livraison à domicile (au Paraguay), les entreprises ont tenté de faire passer leurs stratégies de marque pour des contributions positives à la société dans le contexte de la COVID-19 [14].
De nouveaux espoirs pour la lutte anti-alcool
Malgré les stratégies agressives de l’industrie en vue d’affaiblir la réglementation, la lutte anti-alcool trouve un second souffle. S’il est évident que les grands producteurs d’alcool appliquent les tactiques de l’industrie du tabac, il n’en demeure pas moins que la société civile et les décideurs politiques ont beaucoup à apprendre de la lutte antitabac [15]. Et c’est d’ailleurs déjà le cas.
La seule quantité sûre d’alcool c’est zéro alcool
L’ancrage culturel et social de l’alcool repose sur la conviction qu’il est possible de « boire de manière responsable ». Certaines études sont allées jusqu’à suggérer qu’une consommation modérée pourrait être bonne pour la santé. On a cependant constaté un changement de paradigme ces dernières années. Malgré les tentatives de l’industrie de faire le buzz grâce à la recherche parrainée, il est maintenant largement admis qu’aucune quantité d’alcool n’est sûre [16].
En conséquence, certains pays ont commencé à resserrer leurs directives sur la consommation d’alcool. Alors que l’Union européenne et d’autres pays comme le Royaume-Uni ou l’Australie ouvrent la voie [17], l’Organisation mondiale de la Santé a récemment publié une déclaration sur la consommation d’alcool dans laquelle elle affirme que le risque pour la santé est présent « dès la première goutte »[18].
La Stratégie mondiale sur l’alcool recharge ses batteries
La Stratégie mondiale de l’OMS sur l’usage nocif de l’alcool s’est révélée insuffisante pour accélérer la lutte anti-alcool et atteindre les objectifs de réduction fixés dans le Programme de développement durable à l’horizon 2030. Marquée par une mise en œuvre inégale, la stratégie s’est essoufflée depuis sa création en 2010. Pour preuve, à ce jour, la plupart des pays de la région Afrique et des Amériques n’ont pas de politiques nationales écrites en matière d’alcool [19].
Le nouveau Plan d’action mondial de l’OMS contre l’alcool 2022-2030 constitue une occasion de combler les lacunes de la Stratégie mondiale. Structuré autour de six domaines d’action, le plan d’action vise à faire progresser la stratégie globale en mettant l’accent sur sa mise en œuvre.
Interventions SAFER pour la lutte anti-alcool
En 2018, l’OMS a lancé l’initiative SAFER, un train de mesures techniques axées sur les cinq interventions les plus rentables (Meilleurs choix) qui peuvent aider les gouvernements à réduire les méfaits de l’alcool. Les voici :
-
S – Strengthen restrictions on alcohol availability [Renforcer les restrictions relatives à la disponibilité de l’alcool]
-
A – Advance and enforce drink driving counter-measures [Promouvoir et appliquer des mesures de répression de la conduite en état d’ébriété]
-
F – Facilitate access to screening, brief interventions and treatment [Faciliter l’accès au dépistage, à de brèves interventions et au traitement]
-
E – Enforce bans or comprehensive restrictions on alcohol advertising, sponsorship, and promotion [Appliquer des interdictions ou d’importantes restrictions sur la publicité et la promotion de l’alcool et sur les commandites par des fabricants d’alcool]
-
R – Raise prices on alcohol through excise taxes and pricing policies [Augmenter les prix de l’alcool au moyen de taxes d’accise et d’autres politiques relatives au prix]
La société civile et le financement font la différence dans la lutte anti-alcool
La forte mobilisation de la société civile s’est avérée cruciale pour faire progresser la lutte anti-alcool tout en dénonçant les tactiques abusives des industriels du secteur. Une campagne menée par plus de 80 dirigeants et organisations communautaires en Australie a par exemple mis fin à une réduction de 50% des taxes sur la bière défendue par l'industrie de l'alcool [20]. Parmi d’autres exemples, on peut citer l’engagement du ministère de la Santé du Ghana à taxer les produits mauvais pour la santé tels que l’alcool, grâce au plaidoyer de l’Alliance ghanéenne sur les MNT [21], ainsi que la publication du premier rapport de la société civile sur l’usage nocif de l’alcool au Mexique grâce à Mexico Salud-Hable [22].
Au-delà de la mobilisation, la réglementation de l’alcool a besoin de financement pour déployer tout son potentiel. C’est pourquoi des initiatives comme RESET (Vital Strategies), qui aide les pays d’Afrique, d’Amérique latine et d’Asie à couvrir les dépenses liées à la mise en œuvre des taxes sur l’alcool, sont si nécessaires [23]. C’est dans cette optique que la 7ème Conférence mondiale sur les politiques en matière d’alcool (octobre 2023) sera structurée autour de l’investissement [24].